Ceci est un objet frontière humain
« Je désigne par objet-frontière humain un type d’entité particulier qui circule entre des corps que l’on juge humains. » Klaus Hoeyer
Nous parlons de notre monde.
« Dans son ouvrage précurseur sur la pureté et les tabous, Mary Douglas constatait que « toutes les marges sont dangereuses » et que la salive, le sang, l’urine et les autres substances et éléments peuvent devenir des objets dangereux simplement en traversant « les frontières du corps » (Douglas, 1995 : 12). Une fois détachés du corps, ils incarnent des menaces pouvant déstabiliser ces catégorisations dotées d’une importance symbolique. Stimulé par les constatations de Douglas (et de Van Gennep), Victor Turner s’est intéressé au rôle des rituels en manipulant ce qui est catégoriquement ambigu : le liminal (Turner, 1967). Il affirme que les rituels sont instigateurs de « transformation dans l’être » (ibid. : 102) et que cette ambiguïté est essentielle à cette transformation (ibid. : 96-97). Turner décrit l’espace non défini entre les catégorisations comme une « obscurité féconde », pleine de potentiel pour la créativité culturelle (ibid. : 110). Nous rencontrons aussi cette sorte de potentialité dans le cas de l’objet-frontière humain. Paul Rabinow constate que les nouveaux produits de la biomédecine sont considérés avec un mélange d’espoir et de peur, ce qu’il nomme anxiété purgative, avec laquelle l’avenir constitue un enjeu permanent (Rabinow, 1999). Ces peurs ont été explorées en profondeur dans l’analyse de scénarios futurs (à risques), mais il faut préciser que l’avenir n’est pas le seul enjeu : le présent est aussi menacé lorsque les objets-frontières humains remettent en question les catégorisations dominantes actuelles. »
Klaus Hoeyer « Anthropologie des objets-frontières humains – Explorer de nouveaux sites pour la négociation de l’identité » 2011
En Anthrophologie, les penseur⋅euses théorisent le sang menstruel comme « objet – frontière humain ». Les cycles menstruels rythment la vie intime d’une grande partie de la population humaine, la vie quotidienne des personnes assignées biologiquement à la naissance en tant que femmes et par impact secondaire sur celleux assignée⋅s « hommes ». Malgré tout, ce sujet reste tabou. Entre les moments d’attente chez la pré-adolescente et des formes de soulagements et / ou d’inconforts expérimentés par certaines « femmes ménopausées », je tente de représenter cet « objet frontière humain » de manière photographique.
« Les objets situés à la frontière du soi et du non-soi continuent pourtant de soulever l’inquiétude des nations industrialisées contemporaines. » nous dit plus bas Klaus Hoeyer. En parler, mettre des images sur ces fluides, est déjà une remise en cause du système dominé par la pensée masculine blanche.
Dans le même article, il précise « l’hypothèse avancée est que les objets qui circulent entre des corps ou entre des communautés de pratique indépendantes affichent de façon dynamique des structures de valeurs, de connaissances et de pouvoir au sein des systèmes d’échange dans lesquels ils circulent, tout en étant vecteurs de changement pour ces mêmes systèmes. La création de nouveaux objets qui transgressent les frontières n’est pas dénuée de conséquences en ce qui concerne les institutions. Pour ces raisons, les objets-frontières constituent un espace productif pour l’étude de processus liés à la catégorisation, la valorisation de soi et l’identité. »
Il s’agit de se défaire d’une illusion d’une identité dans laquelle nous pourrions nous reconnaître, de mettre en lumière toute l’opacité du rapport de chaque être dans son corps et son être.
Bee Lumen
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