When God was a woman

When god was a woman

Ce titre est inspirĂ© d’un rĂ©cit fĂ©ministe qui fabule des origines s’appuyant sur l’étude de traces archĂ©ologiques et historiques dans l’Europe prĂ©-indo-europĂ©enne, attestant d’une culture matrifocale agricole organisĂ©e autour du culte d’une dĂ©esse et Ă©crit par Merlin Stone en 1976.

« Sur les traces de l’archĂ©type de la sorciĂšre dans l’inconscient collectif dominĂ© par celui du mĂąle blanc »

J’ai un besoin vital de crĂ©er des images, les images me saisissent. Les images, c’est plus fort que moi, il faut que je passe Ă  l’acte.

Pour les images autour du sang menstruel, les premiĂšres sont en fait des autoportraits qui ne sont pas prĂ©sentĂ©es ici. Elles ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es parce que j’ai fait une fausse couche. Suite Ă  des Ă©changes assez houleux autour d’un travail sur une serviette hygiĂ©nique usagĂ©e d’une des Reines pour le fanzine du collectif Gangreines, cette expĂ©rience de discussions entre femmes en non mixitĂ© m’a, Ă  mon tour, empouvoirĂ©e Ă  crĂ©er moi-mĂȘme sur cette thĂ©matique. Cela faisait longtemps que je sentais en moi l’envie, le besoin de faire des photos de ce sang menstruel. Cela a coĂŻncidĂ© avec le moment oĂč la France entiĂšre Ă©tait confinĂ©e Ă  cause de la crise sanitaire due au Covid 19. Ce premier confinement oĂč je ressentais beaucoup de choses en moi.Je commence toujours Ă  collectionner des objets qui vont ĂȘtre dans le photoshoot ou pas. Je prĂ©pare dans ma tĂȘte le moment oĂč je vais prendre la photo. Donc j’ai achetĂ© un bouquet de fleurs. Puis ça a pris du temps parce que je n’avais pas mes rĂšgles parce que je pensais ĂȘtre enceinte 
 et au moment oĂč il y a eu ce sang qui a coulĂ© j’étais prĂȘte Ă  prendre la photo et les fleurs Ă©taient mortes.

Pour la sĂ©rie de polaroids tirĂ©s en grand formats, ma dĂ©marche a consistĂ© Ă  Ă©laborer une mise en scĂšne que je construisais mentalement et mĂ©ticuleusement depuis quelques annĂ©es. Je voulais tout d’abord rendre hommage aux VanitĂ©s avec un angle fĂ©minin ou un regard fĂ©minin comme l’entend Iris Brey dans son ouvrage « Le regard fĂ©minin – Une rĂ©volution Ă  l’écran ». En effet, je me dĂ©finis comme fĂ©ministe et mon regard et mes lectures et donc ma pratique photographique transpirent de cet engagement.
Je souhaitais qu’une figure fĂ©minine vienne animer cette scĂšne et vienne incarner cette figure que certain⋅es nomment « sorciĂšre » comme dans un rituel. Je souhaitais qu’elle soit en mouvement, prise dans l’action. Mon choix s’est portĂ© vers une jeune femme ayant une peau diaphane. Ce choix esthĂ©tique se retrouve d’ailleurs dans d’autres clichĂ©s que j’ai pu rĂ©aliser.
J’avais en tĂȘte certains objets et le jour mĂȘme du shooting j’en ai trouvĂ© d’autres (notamment une Ă©norme bouteille de vin). Dans mon travail, j’aime m’inspirer de ce que je trouve Ă©galement sur le moment. J’apprĂ©cie autant les Ă©tapes de conception de l’image avant et aussi l’aspect plus expĂ©rimentale du faire au moment de la prise d’image. L’aprĂšs coup est tout aussi important notamment pour tenter de mettre du sens sur ma dĂ©marche artistique.
Depuis quelques temps je me posais la question du symbolisme dans la photographie. Je ne voulais pas m’arrĂȘter Ă  l’aspect documentaire et figuratif de cette technique. Chaque objet donc qui est prĂ©sent sur ces images vient parler de diffĂ©rentes notions, valeurs ou concepts. Par exemple, la tĂȘte de mort, la poudre blanche ou le tĂ©lĂ©phone portable. La tĂȘte de cochon est un symbole de l’industrialisation du marchĂ© de la viande et de la mort des animaux et une critique. J’utilise l’objet comme symbole. L’utilisation quotidienne du tĂ©lĂ©phone portable vient nous dĂ©tourner des uns des autres notamment. La cocaĂŻne et son marchĂ© est un dĂ©sastre Ă©cologique en Amazonie.
Le lien avec l’écofĂ©minisme est « le pouvoir du dedans » qui me pousse Ă  aller vers la photo. Et une fois qu’elle apparaĂźt lĂ  je prends du recul et je comprends pourquoi j’ai crĂ©Ă© ces images.
J’ai fait le choix d’utiliser un polaroid pour son cotĂ© instantanĂ©. Vu le temps passĂ© Ă  penser et planifier mon image, j’avais besoin de la voir sortir matĂ©riellement au moment du shooting. Le polaroid est connotĂ© photo ancienne ou « vintage » mĂȘme s’il existe de nombreux autres procĂ©dĂ©s anciens sur lesquels je me penche d’ailleurs en ce moment.

Le polaroid vient arrĂȘter le mouvement d’une maniĂšre particuliĂšre et avec des tonalitĂ©s qui composent ma palette de couleurs habituelle et qui font rĂ©fĂ©rence au passĂ© ainsi qu’à l’obscuritĂ©.
La photographie renvoie souvent au cycle de la vie et Ă  ce moment particulier qu’est la mort. Roland Barthes tout comme Susan Sontag viennent dĂ©crire cet acte artistique comme une tentative de saisissement du mouvement vital tout en sachant que l’objet photographique lui-mĂȘme va se dĂ©sagrĂ©ger. Cet aspect a impactĂ© mon choix d’accrochage plus libre et moins acadĂ©mique en prenant en compte la notion de trace laissĂ©e mais aussi du fait que les impressions vont-elles-mĂȘmes se dĂ©sintĂ©grer progressivement en fonction de la vie et l’utilisation du lieu dans lequel elles vont avoir leurs vies propres. Une photographie est un objet qui vient dĂ©peindre une rĂ©alitĂ© qui est ensuite figĂ©e pour un court instant pour enfin s’altĂ©rer.

« La photographie est un outil puissant qui joue un rĂŽle important dans la construction de l’identitĂ© culturelle. Les questions sur son influence sur la perception du / de la spectateur-trice, sur ses biais et ses pensĂ©es contribuent Ă  une discussion importante sur le thĂšme de la reprĂ©sentation. »
Foam Magazine

40 polaroids ont Ă©tĂ© pris lors de cette sĂ©ance de photo et j’en ai sĂ©lectionnĂ© 4 Ă  reproduire de maniĂšre numĂ©rique. Je souhaitais pouvoir les agrandir.
Dans le cadre de cette exposition, il s’agit de la premiĂšre fois que ces clichĂ©s sont exposĂ©s.
Ces instantanĂ©s sont les preuves d’une reprĂ©sentation symbolique d’un rituel d’une sorciĂšre comme chacun⋅e peut se la reprĂ©senter de maniĂšre stĂ©rĂ©otypĂ©e.
Aujourd’hui nous assistons Ă  une renaissance du mouvement des sorciĂšres et grĂące Ă  ces clichĂ©s, j’espĂšre questionner la reprĂ©sentation, l’image que chacun-e se fait de ce qu’est une sorciĂšre. Je me suis penchĂ©e sur le mythe de la sorciĂšre, sur son histoire et sur ce qu’elle vient interroger sur notre place dans la sociĂ©tĂ© par rapport
Ă  la domination masculine, au patriarcat et au nĂ©o-libĂ©ralisme. Mes recherches m’ont menĂ© au courant de l’écofĂ©minisme.
Ma lecture de Starhawk « RĂȘver l’obscur. Femmes, magie et politique » sert aujourd’hui de base thĂ©orique Ă  ma tentative de reprĂ©sentation photographique de ce qu’elle nomme comme « DĂ©esse ». Il faut prendre ma tentative comme critique du stĂ©rĂ©otype et non comme image venant dĂ©crire fidĂšlement ce Ă  quoi ressemblait ou ressemble aujourd’hui une sorciĂšre. La notion de « DĂ©esse » dans le travail de Starhawk ainsi que les Ă©crits, pensĂ©es, pratiques, actions de non violence, poĂ©sie etc des personnes qui se dĂ©crivent comme « Ă©cofĂ©ministes » renvoient Ă  diffĂ©rentes notions. Et il me semblait important d’élargir mon champ de questionnements et d’interrogations photographiques. J’ai alors reliĂ© mes polaroids Ă  mes clichĂ©s plus rĂ©cents autour du sang menstruel et aussi les polaroids d’une performance rĂ©alisĂ©e avec Autopsy, une autre femme artiste, performance autour de la guĂ©rison suite Ă  de longues pĂ©riodes d’empoisonnement avec l’alcool et d’autres drogues, l’avortement et la fĂ©conditĂ©.

« Le mot DĂ©esse gĂȘne beaucoup de personnes qui se dĂ©finiraient comme des « politiques ». Il implique une religion et peut ĂȘtre pris Ă  tort pour un culte Ă  un ĂȘtre extĂ©rieur. La DĂ©esse embarrasse aussi ceux qui se dĂ©finissent comme spiritualistes ou religieux ; il Ă©voque le paganisme, le sang, l’obscuritĂ©, la sexualitĂ©, les pouvoirs du bas.
Oui, le pouvoir-du-dedans est le pouvoir du bas, de l’obscur, de la terre ; le pouvoir qui vient de notre sang, de nos vies et de notre dĂ©sir passionnĂ© pour le corps vivant de l’autre. Et les enjeux politiques de notre temps sont aussi des enjeux spirituels, des conflits entre des paradigmes ou des principes fondamentaux. Si nous voulons survivre, la question devient : comment renversons-nous non pas ceux qui sont actuellement au pouvoir, mais le principe du pouvoir-sur ? Comment donnons -nous forme Ă  une sociĂ©tĂ© fondĂ©e sur le principe du dedans? »
Starhawk dans « RĂȘver l’obscur »

Mon engagement est d’aborder la figure de la DĂ©esse comme symbole de la lutte contre le patriarcat. J’essaie de pointer l’image classique de la sorciĂšre pour mieux m’en dĂ©partir et essayer d’emmener mon/ma spectacteur-actrice dans cet Ă©lan. « Dans le culte de la DĂ©esse comme dĂ©crit par Starhawk, il n’y existe pas un culte des artefacts comme dans les autres religions. La DĂ©esse ce n’est pas une personne, ce n’est pas non plus une divinitĂ©. La DĂ©esse c’est nous mĂȘme. C’est quelle force je vais trouver en moi-mĂȘme pour exprimer mes peurs et
me les rĂ©approprier. Du coup elle ne se matĂ©rialise pas dans quelqu’un d’autre que moi-mĂȘme. Je trouve donc la DĂ©esse en moi et je fais des choses avec d’autres femmes ce qui crĂ©Ă© une synergie d’oĂč les cercles de parole, les rituels. »
Marylou.

Je remercie Marylou pour les conversations que nous avons eu qui m’ont aidĂ© Ă  structurer ma pensĂ©e et Ă  RaphaĂ«l Jarry pour son soutien technique et enfin, Nico et GaĂ«lle pour leur invitation Ă  exposer.

ÉlĂ©ments de dĂ©finition

Vanité :

« Le terme traduit par « vanitĂ© » signifie littĂ©ralement « souffle lĂ©ger, vapeur Ă©phĂ©mĂšre » le message est de mĂ©diter sur la nature passagĂšre et « vaine » de la vie humaine, l’inutilitĂ© des plaisirs du monde face Ă  la mort qui guette. Une vanitĂ© est une reprĂ©sentation allĂ©gorique de la mort, du temps qui passe, de la vacuitĂ© des passions et activitĂ©s humaines
 Les objets reprĂ©sentĂ©s symbolisent les activitĂ©s humaines, Ă©tude, argent, plaisir, richesse, puissance, mises en regard d’élĂ©ments Ă©voquant le temps qui passe trop vite, la fragilitĂ©, les destruction et le
triomphe de la mort avec souvent un crĂąne humain
 »
Wikipédia

Female gaze :

« L’expression female gaze peut sembler essentialisante, enfermante, renvoyer Ă  une assignation sexuĂ©e. Pourtant je suis persuadĂ©e que c’est l’expression adĂ©quate. En premier lieu parce qu’elle fait Ă©cho au male gaze thĂ©orisĂ© par Laural Mulvey en 1975 dans son article « Visual Pleasure and Narrative Cinema ». Je ne considĂšre pas pour autant que le female gaze est le concept miroir du masculien, pour moi il s’agit d’une nouvelle façon d’apprĂ©hender les images. Dans sa chronique du dernier Tarantino « Il Ă©tait une fois 
 Ă  Hollywood, la soif du mĂąle », la philosophe Sandra Laugier se trompe. Elle considĂšre un plan du torse nu de Brad Pitt comme une forme de female gaze, alors que la reprĂ©sentation du corps comme objet du dĂ©sir, que ce soit un corps masculin ou fĂ©minin, reste une forme de male gaze. Le regard fĂ©minin filme les corps comme sujets du dĂ©sir. On peut se permettre de rĂ©investir cette terminologie en abandonnant l’opposition masculin-fĂ©minin au profit d’une dĂ©multiplication des possibles, une diffĂ©rence. Si on rĂ©flĂ©chit au female gaze Ă  la maniĂšre de Derrida, quand il a dĂ©tournĂ© le mot diffĂ©rence en diffĂ©rance, c’est pour bousculer le sens de female, pour dĂ©cortiquer ce terme et en apprĂ©hender la complexitĂ©, l’envisager comme un Ă©lĂ©ment de la marge qui dĂ©stabilise l’ordre et pour sortir d’un discours phallocentrique. »
Iris Brey

ÉcofĂ©minisme :

« Ce terme regroupe un ensemble de rĂ©alitĂ©s trĂšs diverses. Il n’existe pas un Ă©cofĂ©minisme, mais des Ă©cofĂ©minismes, comme il n’existe pas un fĂ©minisme mais des fĂ©minismes.
Le terme Ă©cofĂ©minisme a Ă©tĂ© Ă©mis Ă  posteriori. Françoise d’Eaubonne a thĂ©orisĂ© un mouvement a posteriori en 1978 « Écologie fĂ©ministe. RĂ©volution et mutation ». Elle a constatĂ© qu’il y a eu dans diffĂ©rents endroits de la planĂšte mais en particulier aux États Unis et au Royaume Uni, des mouvements militants qui avaient des caractĂ©ristiques communes dans lesquels participaient une majoritĂ© de femmes, et qu’il y avait parfois des hommes mais qu’ils Ă©taient plutĂŽt en position d’alliĂ©s et ces luttes qui avaient un trĂšs fort aspect Ă©cologique. C’est nĂ© dans les mouvements anti-nuclĂ©aires. Le terme est arrivĂ© trente ans aprĂšs. Et il y avait en parallĂšle les luttes menĂ©es en Inde par Vendana Shiva. Le terme Ă©cofĂ©minisme apparaĂźt environ 30 ans aprĂšs que l’expĂ©rimentation ait eu lieu. Et ce qui est important c’est qu’il n’apparaĂźt pas dans la bouche des femmes qui ont-elles mĂȘmes mener les actions en elles-mĂȘmes. »
Marylou